Biographie

par Marie-Elisabeth Loiseau

De l'Ukraine à Paris

Jan Miroslav Peszke est né le 27 juillet 1870 à Golta en Ukraine, une ville située à mi-chemin de Kiev et d’Odessa.

L’absence d’un père trop tôt disparu, des relations conflictuelles avec son beau-père suscitent en lui le besoin de se retrouver seul devant la nature, afin d’oublier ses peines. Ainsi, le jeune Peské profite de ses vacances scolaires, loin des siens, pour approcher les forêts de chênes séculaires aux confins de la steppe. Il est fasciné par la région de Kiev plantée de sapins et par le Dniepr qui traverse la ville et qui l’été laisse entrevoir des îles désertes.

Après une formation aux Beaux-Arts de Kiev puis d’Odessa, il s’inscrit à l’école des Beaux-Arts de Varsovie et suit les cours du soir de Woiciech Gerson, peintre reconnu, admirateur de Delacroix et des Impressionnistes. Sous l’impulsion de ce maître et grâce à l’obtention d’une bourse, Peské débarque à Paris en 1891. A l’académie Julian, dans les pas de ceux qui allaient bientôt se faire appeler les Nabis, il fréquente les ateliers de Jean-Paul Laurens et de Benjamin-Constant.

Des rencontres avec les néo-impressionnistes et les Nabis

Mais c’est Gabriela Zapolska, femme de lettres et actrice polonaise qui lui fait rencontrer les peintres Paul Signac, Maximilien Luce, Paul Sérusier et le critique d’art Felix Fénéon. L’artiste s’éloigne alors de l’académie et peut désormais peindre sans maître. Séduit par l’aspect du pointillisme, Peské, invité par Paul Signac dans sa propriété tropézienne, fait quelques essais à la manière du néo-impressionniste, mais la féérie palpitante des petits points le lasse très vite. Néanmoins, ces rencontres avec des artistes d’avant-garde lui permettent d’exposer aux Indépendants dès 1895 et d’obtenir le soutien de Fénéon qui lui fait connaître Camille Pissarro avec lequel il s’initie à la gravure à l’eau-forte. Fénéon le fait approcher du critique Gustave Kahn qui ne tarit pas d’éloges à son égard, et du critique Octave Mirbeau qui, lui-même, le met en rapport avec le marchand Durand-Ruel, véritable apôtre des Impressionnistes. Quant à Paul Sérusier, il s’agit sans doute du peintre que Peské admire le plus, profitant même de son absence pour occuper avec son accord son atelier parisien. A cette époque, en effet, Peské noue des relations avec les Nabis et expose avec eux chez Le Barc de Boutteville. Il répond également aux commandes de décors de théâtre, en particulier, du théâtre de l’Oeuvre de Lugné-Poe. En 1897, Peské exécute Jeunes filles au bord de la mer, une œuvre qui allait bientôt servir de modèle à une affiche pour la revue L’Estampe et l’Affiche. Il faut dire que le jeune artiste fréquente alors Henri de Toulouse-Lautrec qui l’entraîne chez son imprimeur pour lui faire découvrir la lithographie. En 1898, Peské conçoit avec un même souci du décor La Baignade, deux panneaux pyrogravés dans un esprit comparable à celui du groupe des Nabis. Ce sont toutefois des pastels réalisés à la campagne près de Meaux qui lui offrent un premier succès dans la galerie Durand-Ruel en 1900, puis l’année suivante, à La Revue Blanche. Gustave Kahn admire le talent du jeune Slave osant même une comparaison avec Renoir dans sa recherche de la grâce féminine qu’il a le souci de faire apparaître sur un fond ornemental.

Catherine, l’épouse, la mère, son modèle

1901 est également l’année de sa rencontre avec Catherine Louchnikov, sculptrice d’origine russe avec laquelle il se marie. Ensemble ils auront quatre enfants : Myrrha-Claudine en 1902, Marie-Madeleine en 1906, Jean en 1908 et Lola en 1910. Dès lors, le talent de la sculptrice fait place à celui de la mère dont la posture et les gestes inspirent l’œuvre de son mari. Peské se cherche et s’oriente de plus en plus vers un art plus proche de la nature, un art moins décoratif, s’écartant ainsi de la manière des Nabis. L’été, lorsqu’il rejoint Collioure avec son épouse, il brosse les portraits des gens du pays, en particulier des jeunes catalanes, et réserve la gravure aux sujets que lui inspire le port méditerranéen.

Le confident des grands arbres

De retour dans la capitale, Jean d’une santé fragile doit envisager de s’éloigner de la ville pour respirer l’air pure d’une forêt de sapins. Son médecin l’envoie alors en convalescence à Barbizon où le rejoignent son épouse et leur petite Myrrha. Il retrouve ainsi en forêt de Fontainebleau la force de poursuivre son œuvre devant ces paysages qui lui rappellent tant sa jeunesse. Il remplit ses carnets de croquis pris sur le vif. L’arbre sous toutes ses formes et toutes ses essences devient alors son modèle favori. Il lui vaudra en 1913 d’être qualifié par Gustave Kahn de « confident des grands arbres[1] ».

[1] Préface de Gustave Kahn du catalogue d’exposition des œuvres de Jean Peské à la galerie Devambez (Paris) en octobre 1913

Vers une technique très personnelle

Ses séjours à Bois-Le-Roi puis à Melun sont prétextes à dessiner et peindre sur le motif les moindres aspects du bonheur familial au jardin ou dans la chaleur d’une maison confortable. S’il est proche des Impressionnistes de par son amour de la nature, sa peinture exécutée sur le vif, son étude de la lumière, sa touche fragmentée, il s’en éloigne de par l’accent mis sur le trait, le dessin et le choix des couleurs vives. En cela, son talent de coloriste, qu’il révèle aussi dans ses natures mortes et ses compositions florales, est remarqué à Paris lorsqu’il expose avec les Fauves.
Mais c’est une technique très personnelle qu’il met au point vers 1910 qui suscite l’admiration des critiques, le lavis d’encre de Chine rehaussé de rouge, d’ocre et de blanc : les œuvres de Peské rayonnent ! L’artiste n’en délaisse pas pour autant la gravure qu’il affectionne tout particulièrement parce qu’elle nécessite un dessin vigoureux et un trait courageux qui cerne les formes.

A la recherche de la lumière dans le Midi de la France

Pour répondre à sa quête de lumière et de couleur, rien de mieux que le Midi « une école de plein air rêvée »[1] ! Peské y séjourne désormais chaque été. L’intimité d’une famille en villégiature sur la côte méditerranéenne est propice à la réalisation de tableaux aux tonalités franches, à l’aspect décoratif et sentimental comme dans Scène champêtre : les âges de la Vie. C’est à Bormes que l’artiste finit par trouver son port d’attache, séduit par le charme d’une vie rustique et champêtre. Il est comblé par les sujets que lui offre la nature et s’empresse de les dessiner : troupeau de chèvres et leur berger, cueillette des olives, récolte des châtaignes… La pointe du Gouron où il fait construire un petit cabanon, un « bastidoun » qui lui sert d’atelier, devient un sujet de prédilection. L’arbre toujours très présent apporte de la verticalité à ses paysages et participe à la composition harmonieuse de ses tableaux. De retour à Paris, Peské expose ses paysages lumineux de Méditerranée dans les galeries Bernheim, Devambez, aux Indépendants, au Salon d’automne ou encore à la Nationale des Beaux-Arts. L’Etat lui achète des œuvres et les critiques lui sont très favorables. Ainsi s’exprime Gustave Kahn en 1913 : « Nul ne donne mieux que Jean Peské une sensation de présence réelle de la lumière[2] ». La guerre interrompt la prodigieuse ascension de l’artiste ennuyé pour un temps par une affaire d’espionnage qui se révèle finalement injustifiée. Néanmoins, le ministre des Travaux Publics, Marcel Sembat, lui offre alors la possibilité de réaliser quelques études à Marseille, en particulier les portraits à l’encre de Chine des soldats indiens de l’armée britannique qui ne tarderont pas à intégrer les collections de la Bibliothèque nationale.

[1] Extrait de ses Mémoires jamais publiées, archives privées 

[2] Préface du catalogue de l’exposition des œuvres de Jean Peské, Galerie Devambez (Paris), 1913

Paris, source d’inspiration

La fin des hostilités permet à l’artiste de recentrer son activité sur la capitale où il a désormais son atelier boulevard Saint Jacques et loue un appartement non loin de là. Sur les conseils prodigués naguère par Pissarro, il se tient derrière une fenêtre pour exécuter le plus souvent à l’huile les vues de Paris, des « toiles d’une fluidité remarquable[1] » selon le fidèle Gustave Kahn. Durand-Ruel expose les toiles de Peské dans ses galeries rue Laffitte et à New York. Les critiques apprécient son talent de coloriste et n’hésitent pas à le placer parmi les continuateurs du courant impressionniste. Dans le même temps, trente ans après avoir foulé le sol parisien, Peské obtient la naturalisation française.  Cherchant à faire partager son expérience et ses idées sur les tendances artistiques de son époque, il ouvre dans son atelier des cours de dessin et de peinture.

Ailleurs

Ses rencontres avec des personnalités du monde des arts et du monde politique sont l’occasion pour l’artiste de découvrir d’autres paysages en France mais aussi en Suisse. En Vendée, il est invité par Joseph Borion, secrétaire du Salon d’automne, à parcourir le marais breton où les grandes étendues de terre et d’eau parfois se confondent, où les habitations en terre, les bourrines, lui rappellent tant les chaumières de son Ukraine natale. A Genève, le consul général de France Amé-Leroy lui donne accès aux plus beaux jardins surplombant le lac tandis que Jean Hennessy, ambassadeur de France en Suisse, lui ouvre les portes de ses propriétés de Dinard et d’Allonville. On lui achète des tableaux. Il est heureux et fortuné.

Peské à l’origine du musée de Collioure

Ses liens avec la ville de Collioure, avec des personnalités locales comme Paul Soulier, lui-même ami de nombreux artistes venus séjourner dans le port méditerranéen, lui donnent l’opportunité de rassembler dans un même lieu une collection d’œuvres, les siennes mais pas seulement. Ainsi, en 1934 est créé le musée de Collioure, sorte d’antenne permanente du salon d’Automne. Situé d’abord dans les locaux de la mairie, le musée d’art moderne trouvera en 1985 une seconde vie sur un promontoire face à la mer dans la propriété du sénateur Gaston Pams. Peské sera toujours en quête d’œuvres pour son musée obtenant par exemple en 1945 le don par son auteur Yves Brayer d’une toile intitulée « Matador ».  Il poursuivra ses séjours dans le sud de la France même après le décès de son épouse en décembre 1934.

Mais le désespoir le ronge de plus en plus et ses yeux le trompent. Il s’éteint le 21 mars 1949 après une rétrospective galerie Sainte Placide à Paris.